Commute

Chaque fois que j’ai emménagé dans une nouvelle ville j’ai fait très attention à mes premières impressions et souvenirs, parce qu’il est amusant ensuite de voir comment certaines perceptions évoluent à mesure qu’on s’approprie un nouvel environnement.

De façon symétrique, j’ai aussi en mémoire une bibliothèque de lieux dont j’ai « figé » des souvenirs de « dernière fois » (quand j’ai quitté l’INSA ou CentraleSupélec, mes derniers moments dans les ateliers chez Arcelor, Jtekt ou Flender).

Quelques jours après être arrivé à NOLA je me suis rendu début Septembre à Lafayette Square pour y rencontrer les cyclistes du groupe Nola Fixed. Je me souviens avoir emprunté Simon Bolivar Ave, à moitié rassuré de traverser certains quartiers défavorisés et de devoir passer sous l’autoroute à la nuit tombante.

Quand le départ de la course d’orientation a été donné j’ai d’abord suivi les autres jusque Canal Street, un peu étourdi par les lumières des néons et le brouhaha des noctambules, puis me suis laissé distancer et ai finalement tourné à droite. Je me souviens avoir songé « Ça doit être ça, le French Quarter« , en remontant Burgundy St ou s’égrènent shotgun houses et des balcons de style espagnol.

Plusieurs checkpoints de la course d’orientation étaient sur St Claude, dont j’ai retenu facilement le nom qui me rappelle la chanson éponyme de Christine and the Queens. Au retour je me suis un peu perdu dans Marigny, curieux triangle aux rues défoncées dans un plan de ville sinon très parallèle et perpendiculaire (autant que le permet la topographie d’une ville au bord d’un méandre du Mississipi et dont elle tire le surnom de Crescent City – la ville croissant.)

J’emprunte maintenant quotidiennement l’underpass de Simon Bolivar où se réfugient nombre de sans-abris. Je travaille sur North Rampart St qui sépare le Quarter de Tremé, mon coiffeur est sur St Claude et j’ai acheté mes chaussures de vélo chez Bicycle Michael’s sur Frenchmen St. Les souvenirs s’accumulent ici et là, je ne suis plus vraiment un touriste, je vis et travaille ici. Je prends parfois une limonade ou un burger chez Betty’s, ou bien je pousse jusqu’au Rouses sur Royal Street, devant lequel chante parfois Alicia Renée reconnaissable de loin à sa voix et son chapeau, et de près à ses blue eyes incroyables.

(Le pianiste sur la vidéo est Jérémy, qui travaille aussi à Flambeaux Bicycle Tours et fait des visites guidées!)

Avant d’emménager ici je m’étais promené un peu sur Google Maps et avais été un peu surpris de l’état de délabrement de certains quartiers. J’avais espéré que les visuels ne soient pas à jour mais ce qu’on y voit est proche de la réalité : il y a beaucoup de nids de poule, de voitures ou de maisons dans un état préoccupant. D’un bloc à l’autre on peut passer d’un quartier pauvre à un autre huppé. La gentrification fait son œuvre si lentement qu’on se demande parfois si elle existe vraiment, quand dans un même bloc se côtoient terrains vagues, maisons en ruine et habitations neuves.

Pour vous donner un petit aperçu j’ai filmé un de mes trajets pour aller bosser (qualité de prise de vue et du montage : 1/5). Je varie parfois les itinéraires ; celui filmé passe par les quartiers populaires et en bordure du business district!

Green Grease

Depuis quelques jours j’essaie de déverrouiller mon téléphone en entrant le code de l’iPad de la boutique de location de vélo. Du côté de l’école dans laquelle je fais des remplacements, on m’a confié cette semaine un badge pour pointer mais je n’ai toujours pas été payé pour Avril. Deux salles, deux ambiances.

Aujourd’hui je me suis occupé de quelques vélos dont les protections de chaine vibrent. Après rapide enquête, je comprends que c’est parce que l’embout mobile de gauche se serre aussi progressivement que le boitier de pédalier se desserre à droite : tout l’ensemble se décale progressivement et le support du garde chaîne n’est plus maintenu.

Mes heures de lecture sur le site le plus moche mais le plus instructif du web (Sheldon Brown) ont été bien investies en 2012 quand j’ai converti un Motobécane pour en faire un pignon fixe : j’ai suffisamment de souvenirs quand aux standards de filetages italiens, français, suisse et britanniques pour comprendre comment une conception merdique est à l’origine de ce phénomène.

(Je sais, sans images c’est sans doute un peu abstrait.)

Au delà du plaisir de sortir un peu de la routine et d’utiliser un arracheur de manivelle et une douille cannelée (ça change de la clé de 15 et des clés Allen de 4, 5 ou 6), le réel bonheur de ces opérations est le moment du remontage et j’ai mis un petit moment à comprendre pourquoi graisser les taraudages du cadre ou l’axe de pédalier me donnaient le sourire.

Il y a sans doute une part de plaisir régressif (sexuel ?) d’étaler au doigt de la graisse (sans autre raison que parce que c’est le moyen le plus simple de procéder) mais je crois que cette opération me rappelle surtout les heures passées à assembler pièce à pièce mon vélo de polo ou de randonnée. La graisse verte est pleine de promesses : elle matérialise le soin apporté au montage ou à la réparation, le vélo qui sera bientôt en état de rouler. Elle est un message envoyé au futur à celui qui – peut-être – démontera ces pièces et se satisfera qu’elle les ait empêchées de se gripper.

A l’école aussi il y a des activité manuelle, mais moins gratifiantes. Alors que je suis content d’utiliser mes compétences autodidactes de mécanicien vélo pour 15$ de l’heure, j’ai eu du mal à me sentir bien employé vendredi quand j’ai passé 20min à tailler les 147 crayons de couleur d’une classe de maternelle. « C’est d’autant plus con que ça prive les marmot de l’occasion de pratiquer la motricité fine », a ajouté Baptiste.

Snap out of it

Je m’étais promis de n’envoyer ma prochaine newsletter qu’une fois que j’aurai trouvé du boulot et que je ne bloguerai pas tant que je n’aurai pas fini le projet sur lequel je travaille pour obtenir mon certificat de web développeur.

Quelques avancées récentes (et les sollicitations des plus assidus d’entre vous) m’incitent à ré-ouvrir ces pages et à envisager de rattraper un peu de retard.

On ne va pas se mentir, après un début d’année intense et motivé, j’ai ensuite eu un passage à vide certain. Il suffit de jeter un coup d’œil à mes commit sur GitHub ou à mon historique Strava pour se rendre compte de l’impact de mon moral sur ma productivité et de celui de la météo sur ma mobilité :

Bien que n’ayant jamais vu plus que des extraits de Moonstruck, j’ai souvent eu en tête la voix de Cher, malheureusement sans l’effet escompté (peut être que l’élément clé est la double gifle ?).

« Un bridge job est exactement ce qu’il te faut. » m’a dit Christine – une amie de Rob en visite ce WE avec son mari – quand je lui ai expliqué que je venais de passer un entretien pour un job « qui me plait mais qui ne paie pas super bien ».

Réponse la semaine prochaine, il se pourrait que je commence lundi.

President

Après avoir suivi les émeutes en direct il y a 15 jours, c’est la cérémonie d’investiture que j’ai pu voir aujourd’hui sur NBC.

(Les Louisianais aiment détourner le son [o] en l’écrivant « eaux », et il est au début déconcertant de lire des drapeaux ou publicités encourageant l’équipe de football locale par des « Geaux Saints »… et puis on s’y fait!)

Barataria preserve

La Barataria Preserve est sur ma liste « à visiter » depuis ma première semaine ici, parce qu’il est recommandé dans la plupart des guides que j’ai lu. À 30min de New Orleans, c’est en effet l’un des endroits les plus proches pour aller se promener dans le bayou, mais les ouragans successifs ont forcé la fermeture du parc et nous avons jusque là profité de nos week-ends et vacances pour nous éloigner de NOLA.

En ce lundi férié, à l’occasion du Martin Luther King Day, on en a profité pour aller voir si ce bayou ressemble aux paysages que l’on a pu voir ailleurs, et on a compris pourquoi ce parc était en haut de la liste des recommandations aux touristes.

Après la rencontre avec un tatou au Texas, on a vu pour la première fois un modeste alligator. On s’est aussi émerveillés devant ce qui avait l’air d’une sorte de loutre ou castor, et qui s’est révélé être un « nutria ». (Après vérification, « nutria » se traduit par… ragondin!)

MLK Day

Plusieurs personnes m’ont demandé quelle était ma perception de la diversité ethnique à la Nouvelle Orléans et je suis à chaque fois obligé de faire le triste constat suivant : à l’exception d’un hipster de mon groupe de pignon fixe du mercredi (qui se plaint d’être trop souvent « le noir de service » dès qu’il est dans un groupe de blancs), la plupart des personnes de couleur que je vois sont pauvres, de l’autre côté du comptoir devant lequel je me trouve ou en train de s’occuper des parties communes et de la piscine de notre résidence.

Je reconnais volontiers que je suis assez peu cultivé sur le sujet du racisme, tout en ayant une image assez progressiste de moi même. Bien sûr, si ce qui définit un raciste est d’être une personne se comportement intentionnellement mal envers un groupe donné, je ne le suis pas! Bien sûr que je connais l’histoire de la ville où j’ai grandi et qui a prospéré grâce à la traite des noirs, appelée pudiquement « commerce triangulaire », mais je n’ai évidemment pas plus de responsabilité individuelle dans ces événements datant d’il y a 500 ans que dans le « racisme institutionnel » actuel.

Je sais expliquer que 99,9% de mes interactions sociales pendant 35 ans ont été avec des blancs : la plupart des milieux dans lesquels j’ai évolué l’étaient. J’ai bien conscience qu’être blanc, s’appeler Pierre et être bien propre sur moi m’ont par le passé bénéficié (sauf pour entrer en boite de nuit, parce que j’ai longtemps eu l’air plus jeune que mon âge).

Alors je fais quoi avec tout ça ?

Pour le moment, je lis.

J’ai fini la semaine passée « How to be an antiracist » et ai déjà dévoré la moitié de « White fragility ». J’essaie de comprendre un peu mieux ces sujets, de situer mon rôle dans ces dynamiques. J’essaie de comprendre « Black Lives Matter », les combats pour les droits civiques et ce qui est spécifique aux USA. J’essaie de comprendre leur façon de penser, de militer, et d’imaginer ce qui peut se traduire ou pas dans notre contexte français, bien différent.

Je bute pour le moment à comprendre les dynamiques qui relèvent du groupe (c’est le propre de la sociologie d’attribuer des caractéristiques à des groupes bien déterminés) et ce qui relève de l’individu (un des auteurs mentionne qu’une personne n’est jamais « responsable » individuellement de l’image du groupe auquel elle appartient). Comment décrire des problèmes et comportements systémiques sans mettre les gens dans des cases ? Comment ne pas faire basculer la conversation au niveau de l’individu pour réfuter le moindre argument qui nous déplaît ?

Ce dont je me réjouis déjà dans ces lectures est de voir autant de ponts avec d’autres luttes et d’autres sujets. J’ai parfois l’impression que le communautarisme à l’américaine divise plus qu’il n’unit, mais je comprends peu à peu qu’il est aussi possible de faire le mouvement inverse et de chercher dans chaque « cause » ce qui nous rassemble. Qu’il s’agisse de n’importe quelle minorité, de sexisme, de capitalisme ou de lutte pour l’environnement, il existe entre ces groupes un nombre incroyable de porosités.

J’avais assisté à une conférence sur l’éco-féminisme, dans laquelle l’orateur (homme!) expliquait ce qu’apportait à la lutte pour l’environnement les approches féministes, dans la façon d’agir et de manifester. Un groupe de militantes lesbiennes pour l’environnement avait expliqué qu’elles avaient senti le besoin de se rassembler parce qu’elles n’étaient pas à l’aise au milieu de vieux syndicalistes mâles aux méthodes pas très fines.

Je rêve que ce genre de groupes n’existent plus parce que chacun reconnaîtra ses propres combats dans ceux du voisin. Je rêve surtout qu’on réfléchisse à ce « pour » quoi on lutte plutôt que de sans cesse se battre « contre », parce qu’il faudra bien qu’il nous reste des idéaux et une raison de vivre quand on aura renversé le capitalisme.

Je sais, je rêve les yeux grands ouverts. C’est sans doute l’effet du Martin Luther King Day.

Tammany & Fontainebleau

Les américains ont une petite obsession de l’utilisation de la règle pour tracer les routes et les frontières. Combiné à un certain pragmatisme utilitariste, cela conduit à poser un viaduc de 40km en plein milieu du lac Pontchartrain.

On a pris aujourd’hui la voiture et emprunté la Lake Pontchartrain Causeway avec nos vélos dans le coffre, pour aller découvrir la Tammany Trace Bike Trail (ancienne voie de chemin de fer devenue véloroute) et nous promener dans le Fontainebleau State Park.

Riverwalk

San Antonio est un choc parce qu’on avait presque pris l’habitude de villes un peu désertes et de sites touristiques fermés. Ici la saison de Noël bat son plein, les restaurants et bars sont ouverts et il y a des touristes à tous les coins de rue.

Les aménagements de Riverwalk le long de la San Antonio River sont exceptionnels, propres et particulièrement bien entretenus si bien qu’ils ont l’air presque factices ou de manquer d’authenticité. Pourtant, les premiers travaux datent de la fin des années 30, quand la ville lança un grand plan d’urbanisme dans le cadre du New Deal, pour embaucher de nombreux sans emplois non qualifiés et sortir de la Grande Dépression.

La promenade est agréable en cette saison, notamment grâce à la variété de la végétation : certains arbres ont perdu leurs feuilles, d’autres sont encore très verts, des géraniums en fleur côtoient des bananiers. Au tomber de la nuit les guirlandes lumineuses tombant des arbres ayant perdu leurs feuilles ou entourant les troncs des palmiers éclairent la promenade d’une lumière festive et chaleureuse.

Missions

À San Antonio, Fort Alamo nous a livré tous ses secrets. Nous sommes ensuite partis plein Sud visiter les 4 autres Missions fondées par les espagnols : Espada, San Juan, San José et Concepción.