
Joshua Tree

Laissons le bon temps rouler.
La dernière fois que j’ai écrit ici je m’apprêtais à retrouver ma famille pour aller fêter Noël, et je suis cette fois-ci à la veille de prendre l’avion et de passer de nouveau du temps en famille, pour des raisons bien différentes : ma grand-mère paternelle est décédée.
Cette photo date d’Août 2008, sur la plage de Kersident. Mon grand-père était parti en Janvier et ma grand-mere (à gauche) était malgré tout allée en vacances dans le Finistère, en compagnie de sa sœur (à droite, tenant le journal).
Je ne sais pas exactement pourquoi je m’étais décidé à les accompagner, ni comment j’avais convaincu mon colocataire Victor de se joindre à nous, mais nous avions passé quelques jours tous ensemble à Tréhubert, réalisant pendant le séjour qu’à nous quatre nous totalisions 200 ans.
Ce souvenir est le dernier « vrai » souvenir que j’ai d’elle à l’âge adulte. La plupart des autres mémoires sont soit des moments de l’enfance, ou alors bien plus tard des repas de familles auxquels elle assistait en silence, ou les rares visites en maison de retraite puis en EHPAD.
D’une certaine façon Annette et Christiane sont pour moi deux énigmes, tout autant que leur sœur Suzanne. J’avais écrit il y a quelques années un brouillon de nouvelle racontant chacune de leurs histoires, sans vraiment réaliser alors que faute de les connaître je m’étais résolu à les imaginer.
L’histoire racontait comment le décès prématuré d’une de ses grande-tantes avait rapproché le narrateur de sa grand-mère, et leurs conversations devenaient autant une exploration de la vie de ces femmes qu’une grille de lecture initiatique le guidant dans ses propres choix.
Mes grand-tantes sont décédées et je n’ai pas pris le temps de me rapprocher de ma grand-mère. L’histoire prétendait être à propos d’elles alors qu’elle était à propos de moi, et je n’ai pourtant pas su appliquer la leçon tirée par le narrateur à ma propre histoire.
Il y a deux choses cependant que ne fais pas trop mal : j’ai une très bonne mémoire de tout ce que j’écris, et j’archive ce que je produis. La preuve en un tweet de 2008 :
Très en avance à l’aéroport, j’ai décidé – une fois passé le check-in et la sécurité – de me poser dans un bar à vin plutôt que d’attendre à la porte d’embarquement.
J’ai noté n’avoir pas eu mon verre d’eau sitôt assis, et j’ai commandé sans sourciller un verre de sauvignon blanc à 15$ (hors taxes et hors pourboire).
Je me demandais dans le dernier épisode de mes Chroniques Louisianaises si j’avais changé, depuis un an et demi, si je m’étais « américanisé. Je voyage en jogging et j’ai donné un pourboire au chauffeur Uber. J’ai pensé « oh my God, I love the South » quand l’agent de sécurité m’a dit « I’ll be right with you, my love ». Peut être que la réponse est oui.
À la table d’à côté 4 hommes de générations différentes se sont fait quelques tournées de gin tonic. Je lis sur leur visage que l’alcool fait déjà son effet. Au moment de partir on échange quelques plaisanteries et ils me serrent la main en me souhaitant de joyeuses fêtes. Au bar un monsieur chauve avec un crucifix pour pendentif flirte avec la serveuse ; un homme typé sud-américain – que j’ai vu au check-in et qui sera sur mon vol – commande un Sazerac. Deux jeunes femmes ont bu (moins disrètement qu’elles ne le pensent) des mignonettes d’alcool fort et ne savent pas quoi faire des bouteilles vides, qu’elles finissent par confier à la serveuse.
Mon voisin sur la banquette, aux ongles bleus, ferme son MacBook et demande l’addition. L’homme au pendentif en crucifix commande un second verre de vin. Je ne suis pas sûr de savoir lequel des deux je veux imiter, mais je crois que je vais prendre un second verre.
Je n’ai rien posté ou presque à propos de Hawaï. Juste deux ou trois photos sur Facebook, une sur Instagram et à peine plus à ma famille ou certains amis sur Whatsapp.
Peut être ai-je déjà tout dit dans ma Chronique Louisianaise, peut être qu’ O’ahu ne se prête pas au format carré que je souhaite généralement pour ce blog ?
Ou est-ce un peu de culpabilité de faire un si beau voyage en pleine pandémie ?
Je n’ai pas seulement mis en place la location de vélos sur le site de la boite, j’ai aussi pris en main le blog de Flambeaux et tente d’imposer ma prose dans la langue de Shakespeare. Je fais relire à Eric qui corrige les quelques fautes ou grosses erreurs de syntaxe, mais il me laisse sinon donner libre cours à ma créativité et c’est un plaisir de réussir à faire cet exercice aussi en anglais!
J’ai donc écrit :
J’ai eu quelques retours plutôt positifs à propos de ce que j’écris ici, sur le blog de Flambeaux ou via ma Chronique Louisianaise, et l’idée fait son chemin d’essayer de faire quelque chose de ce plaisir que j’ai d’écrire. Ici tout le monde a son métier et un ou plusieurs « side gig ». Je n’ai pas encore le job principal de mes rêves mais je me dis parfois que mon « talent » pour chroniquer pourrait peut être trouver sa place quelque part et toucher un lectorat différent ou plus large que simplement mon entourage.
En dehors de l’expérience avec Lyon69/CityCrunch en 2010-2011, j’écris depuis plus de 10 ans essentiellement pour un public confidentiel et j’ai aussi tout un paquet de notes jamais publiées sur mon ordi. Mon premier moteur et ma principale satisfaction sont avant tout personnelles*, je sais ce que j’écris, pourquoi, avec quelles références,… et il est donc plus facile de garder ça pour moi plutôt que prendre le risque d’être incompris. Partager ce blog à un lectorat plus étendu ou écrire sur le site de Flambeaux sont de bons exercices de vulnérabilité et le risque d’être exposé à la critique, mais ce n’est pas si désagréable alors je suis tenté de continuer!
(*attention, violent accord de proximité assumé)
« I’ll be right with you, baby » m’a dit mardi matin la caissière du Whole Foods en me faisant signe de quitter ma file d’attente et de rejoindre la caisse qu’elle était en train d’ouvrir. Je ne sais pas si c’était la première fois qu’on m’appelait ainsi mais ça m’a fait sourire en y repensant ensuite dans la voiture, sur le chemin du retour.
Au boulot, Eric utilise aussi « baby » ou « sweetheart » à tout va. Il le fait surtout avec les clientes afro-américaines, mais c’est tellement un tic de langage que cela lui échappe aussi parfois avec des interlocuteurs masculins. On s’était fait la remarque avec Barrett, qu’aussi typique du sud que cela soit, ce type d’expression peut aussi être perçu comme particulièrement sexiste ou condescendant.
L’après-midi même, patientant avec un café dans la salle d’attente sur-climatisée du concessionnaire Nissan chez qui je suis allé faire la révision des 90 000 miles, j’entends la secrétaire envoyer elle aussi du « baby » ici et là. Mon tour venu, j’y ai aussi eu droit et ai de nouveau eu le sourire. N’est-ce finalement pas juste affectueux ? Est-ce que d’ici quelques temps je ponctuerai moi aussi mes phrases ainsi ?
J’y fais maintenant attention tout le temps, je guette ces expressions qui rythment les conversations, et plus spécifiquement chez Eric, dont l’accent, les intonations et les expressions interrogent souvent les visiteurs au point qu’on lui demande régulièrement d’où vient son parler. A force de l’écouter j’ai constaté qu’il emploie aussi « man » quelque soit le genre de la personne à qui il s’adresse, et qu’il a le sens de l’hyperbole. Il ne se passe pas un seul jour sans que je sois « bro » (frère), « a godsent » (un envoyé du ciel), « an asset to the company » (un atout pour l’entreprise) ou « a beautiful dude » (une belle personne). De là à ce qu’il m’appelle un jour « baby », je ne serai même pas surpris!
La soirée était si bonne Dimanche que j’y suis retourné Mardi. A ceux qui auraient pu penser qu’un groupe constitué essentiellement de trompettiste n’a pas de sens, Trumpet Mafia répond « chiche! ».
Chaque fois que je suis passé devant le Royal Frenchmen Hotel à vélo, j’ai eu envie de m’y arrêter.
La rue est à sens unique et en arrivant depuis Washington Square on aperçoit deux étages de galeries donnant sur une cour intérieure dont la clameur se fait de plus en plus distincte à mesure que l’on s’approche.
Une fois devant, un mur empêche de voir ce qu’il se passe à l’intérieur, mais les guirlandes lumineuses et le haut des parasols qui dépassent laissent deviner une agréable terrasse. Le public tassé dans les étages ondule au rythme de la musique, un verre à la main, et si la file d’attente n’est pas trop dense, on tente de deviner à travers l’étroit portail en fer forgé de quels instruments le groupe est formé.
Dimanche après-midi, Baptiste m’a rejoint après le boulot, et au lieu d’aller dans l’un des bars du Quarter que l’on connaît, on est allés jusqu’au quartier voisin du Marigny garer nos vélos sur Frenchmen Street. Si Bourbon est la rue festive du French Quarter (plutôt touristique, étudiante, pas forcément raffinée), Frenchmen en est le pendant local et Jazzy. Comme je le disais l’autre jour lors d’une visite guidée nocturne : « Le taux d’alcoolémie y est le même, mais la moyenne d’âge sur Frenchmen est de 10-15 ans plus vieille que sur Bourbon. »
La partie intéressante de la rue ne fait que 2 ou 3 blocs, mais dans chaque bar joue un groupe de musique et c’est ici que se trouve le Spotted Cat, réputé pour sa programmation. A l’angle de Frenchmen et Royal se trouve le fameux hôtel, et nous nous y sommes cette fois-ci arrêtés.
La dernière fois que Baptiste et moi étions allés à un tel concert, c’était pour écouter l’Orchestre National de Jazz à Strasbourg. Pour des novices comme nous, l’expérience de partitions contemporaines dissonantes avait été désagréable, à la limite du seuil de douleur. Dimanche dernier, Jason Brockamp et le New Orleans Wildlife Band nous ont réconcilié avec ce style de musique.
On a rapidement compris qui était Jason Brockamp, menant le groupe derrière sa contrebasse, mais en revanche impossible de savoir exactement la composition du Wildlife Band. Un geste de la main et une musicienne rejoint le groupe pour un solo à la flute traversière, avant de fendre à nouveau le public et de s’éclipser. Un peu plus tard un trompettiste vient lui aussi faire une impro, puis range son instrument et s’en va. Le groupe fait une pause et on comprend qu’une grande partie du public est constituée d’habitués, de petites amies ou de potes musiciens.
La musique reprend, un jeune homme au 1er rang se lève, cigare à la main, pour aller faire les chœurs quelques temps avant de briller à son tour et de nous faire la démonstration de ses capacités vocales. Le chanteur principal prend le contrôle, fait des signes aux musiciens, fait chanter le public, il a une voix et un charisme incroyable. On se demande s’il n’a pas passé ses dimanches de jeunesse à chanter à la messe.
De nouveau, quelqu’un se lève et rejoint le groupe. Cette fois-ci c’est pour un slam, et notre niveau d’anglais nous permet de comprendre qu’il improvise un ode à la musique et à la vie qui reprend. La nuit tombe, l’atmosphère est encore plus intime et chaleureuse, le public continue de faire les chœurs et on n’est plus bien sûr de savoir si on est dans la cour d’un hôtel ou à l’église.
Ce dont on est certains par contre est d’avoir assisté à un moment unique et d’avoir vu la musique s’inventer sous nos yeux, véritablement « en live ». C’est ça le jazz ?