Road trip

Il faut prendre l’autoroute et rouler aux États Unis pour se rendre compte de la taille du pays et de l’étendue de ses « grands espaces ». Les chiffres aident à en prendre conscience : le pays a presque 5 fois plus d’habitants que la France pour une densité de population 3 fois inférieure.

Ces mille miles roulées en 4 jours sur des autoroutes XXL tracées à la règle, jusqu’à Tallahassee par l’intérieur des terres à l’aller, longeant la côte du golfe du Mexique au retour nous ont donné un aperçu de la variété des paysages et de la sévérité des événements climatiques.

La région du Panhandle a été durement touchée par l’ouragan Sally mi-Septembre et le port de Pensacola en témoignait avec ses chaussées défoncées et ses épaves de voiliers et bateaux de pêche enchevêtrés.

La route nous menant au phare St Mark nous a fait traverser des écosystèmes qu’on ne connaissait pas : des marécages, des forêts de pins ou de chênes avec des palmiers en sous-bois, des étendues presque désertiques avec au loin une nouvelle forêt, des étendues d’arbres les pieds dans l’eau mais semblant pourtant avoir brûlé. Le phare lui-même est un peu déroutant, flanqué d’un chêne centenaire et de palmiers, face à la mer.

De St Mark’s Lighthouse à Mexico Beach, en passant par St George Island, St Joseph peninsula et Port St-Joe, la forgotten coast offre des plages de sable incroyablement fin et globalement préservées du tourisme de masse : l’habitat est principalement individuel, et toujours sur pilotis !

En 2018 l’ouragan Michael a touché terre près de Panama City et la route désolante depuis Apalachicola est bordée de troncs étêtés et de maisons encore en travaux deux ans après. Les signes plantés au bord de la route et les arrêts au restaurant envoient un signal clair : ici on vote Trump et on ne porte pas de masque. Plus loin sur la côte, les barres d’immeubles de tourisme et les routes bordées de centres commerciaux prennent brièvement le relais jusqu’à Pensacola et on ne porte pas non plus de masques dans ces resorts défraîchis dans lesquelles familles et étudiants viennent passer quelques jours, comme nous, pour le fall break.

On rentre en faisant escale à Mobile, Alabama puis en traversant le Mississipi. La route ressemble autant à la Louisiane qu’aux kilomètres déjà parcourus dans les terres en Floride, le centre-ville ressemble au vieux carré de New Orleans. On nous avait prévenu : cette partie du Sud Américain est très homogène, et il faudra filer au Nord ou à l’Ouest pour continuer notre quête de grands espaces.

St. Marks

Après nous être fait dévorer par les moustiques à Wakulla Springs le temps d’une courte balade dans une forêt alluviale protégée nous rappelant un peu la Louisiane, le State Park de St. Marks nous a offert des paysages nouveaux : des forêts de pins avec des palmiers en sous-bois et un phare isolé dont on ne sait dire s’il protège la mer ou les marais qui s’étendent à perte de vue.

Florida Capitols

Après une journée d’incertitude météorologique et de route sous des trombes d’eau à fuir le ciel de traîne de l’ouragan Delta, Tallahassee nous a offert un peu de soleil et l’occasion de photographier ses capitoles.

Victorian B&B

Au hasard de notre escapade en Floride pour fuir l’ouragan Delta qui frappe à nouveau la Louisiane, nous voilà pour une nuit dans cette chambre d’hôte de Pensacola qui répond à la question qu’on se pose si souvent à la Nouvelle Orléans lors de nos promenades : « À ton avis, ça ressemble à quoi à l’intérieur d’une maison comme ça ? ».

The Rink

J’étais passé plusieurs fois devant cette galerie marchande sur Prytania St sans y entrer, mes achats depuis mon arrivée étant essentiellement de la nourriture, de l’ameublement et du matériel de vélo.

Jusqu’à cet après midi, où je me suis mis en quête d’une librairie.

Pleasure

(Attention, pavé!)

J’ai longtemps eu une sorte de love-hate relationship avec l’anglais. Spoiler : l’amour gagne à la fin.

Quand je suis entrée en 6ème, j’ai eu l’impression que tous mes petits camarades avaient fait de l’anglais en primaire. Sauf moi. Lady Di est morte la même année, ce qui fut pour moi l’occasion d’entendre parler d’elle pour la première fois. C’est vous dire mon intérêt de l’époque pour la langue et la culture anglo-saxonne. Bien sûr, 10 ans plus tard cela avait bien changé quand je me suis découvert une passion pour les jeunes hommes anglophones, mais c’est prématuré dans ce récit et la pudeur m’oblige à passer sous silence ces épisodes américains, canadiens ou irlandais.

Je ne partais pourtant pas de zéro, mon oncle M. ayant tenté plusieurs fois d’instaurer une sorte de complicité lors de ses séjours en France en me demandant chaque matin Are you my buddy today ?, phrase qui n’avait alors aucun sens pour moi. Comprenant « body », je ne trouvais aucune traduction de mon dictionnaire réussissant à donner un sens à la phrase, et même après me l’être faite expliquer, je n’avais pas la moindre idée de pourquoi il me demandait chaque matin si j’étais ou pas son pote.

Un contrôle surprise par la sadique Mme C. en 5ème m’a obligé à faire signer à mon père une des pires copies de mon collège (4/20, exploit ensuite mainte fois reconduit en prépa) en lui faisant promettre de ne jamais en parler à ma mère. En 3ème rebelotte, Mme C. passera l’année à contrôler notre apprentissage des verbes irréguliers.

Mon établissement étant depuis 2 ans centre d’examens pour le bac, j’avais à chaque fois passé quelques semaines délicieusement désoeuvrées en Juin, décidant mes parents à m’envoyer l’année suivante passer un mois au Canada parfaire mon anglais à Toronto, chez ma tante et mon oncle. (Évidemment, cette année là mon collège-lycée n’était pas centre d’examen, et j’ai donc purement et simplement raté un mois de cours en 2nde).

De ce côté de l’Atlantique, mon oncle a été plus efficace m’a embarqué quotidiennement avec lui dans le collège dans lequel il enseignait et j’ai suivi quelques semaines de cours sur place. (J’ai aussi bu mon 1er café dans l’avion, et acheté mon 1er Têtu dans un kiosque profitant de l’anonymat rassurant de Roissy-Charles de Gaulle). A mon retour, répondant à mes parents me demandant si j’avais progressé, je me souviens avoir répondu : « Je ne sais pas si j’ai appris beaucoup, mais j’ai pratiqué l’anglais que je connaissais ». Je ne sais pas si la réponse les avait satisfaits, mais l’essentiel était là : j’étais passé à la pratique et capable de communiquer en anglais. Bingo.

J’ai ensuite survolé mon lycée, essentiellement grâce aux notes et aux contrôles de ma sœur ainée qui avait eu deux ans plus tôt et dans une section différente EXACTEMENT les mêmes cours et interrogations que moi deux ans plus tard.

Bac en poche, je me pointe la bouche en cœur en section européenne à l’INSA, pour découvrir que les étudiants étrangers constituant les 2/3 de la promo parlent leur langue maternelle, étudient en français et sont tous fluent en anglais. Les étudiants français quand à eux sont pour beaucoup issus d’écoles internationales et j’ai l’impression d’être de nouveau en 6ème, nul. (Christopher Reeve est mort cette année là, et je savais qui il était. Mon intérêt pour le genre masculin et les héros virils dans des tenues moulantes était alors en train d’éclore.)

Deux profs de l’INSA m’ont tour à tour donné deux clés m’ayant permis de progresser. La première, à qui quelqu’un de la classe avait fait remarquer que quand elle lisait « on dirait la voix off de desperate housewifes » (#2005) nous avait ensuite incités « à faire la voix off » si ça pouvait nous aider, et j’ai alors pour la première fois compris le concept d’intonation, alors qu’en français on parle de façon monotone en élevant simplement la voix si on veut poser une question. Le second nous avait décomplexé en nous expliquant la différence entre accent et prononciation. (On peut donc garder un bon gros accent français « so cute » ET se faire comprendre.)

Quelques conquêtes anglophones plus tard (« your accent is so cute »), quelques voyages aussi, beaucoup de temps passé sur internet ou à regarder des films et séries en VO, je claque en 3ème année un TOEIC à 975. Puisque je suis à l’aise en anglais, je me décide à partir 10 mois en Autriche parfaire mon Allemand. Erreur : mon niveau ne me permet pas de suivre efficacement mes cours et je n’ai pas dans cette langue le « facteur confiance » longuement et difficilement construit en anglais. A l’occasion de mon embauche chez Siemens, le patron m’asticote en entretien : « mais comment se fait-il que vous revendiquiez un meilleur niveau en anglais qu’en Allemand alors qu’il y a tout juste un an vous reveniez de 10 mois à Vienne ? ».

Je ne me l’explique pas mais me le promets : si je dois repartir un jour, ce sera dans un pays anglophone.

Le temps passant, j’ai fini par réaliser il y a quelques années avoir franchi le palier ne faisant plus de l’anglais une difficulté. Je ne comprends pas tout ce que je lis ou entend, mais je suis à l’aise et capable de m’exprimer avec suffisamment de subtilité pour plaisanter ou faire passer ma personnalité dans une conversation.

Je lis de plus en plus de doc technique en VO, je lis parfois le journal aussi, peu à peu j’écoute des podcasts, je me mets à faire quotidiennement les mini mots-fléchés gratuits du New York Times.

Depuis mon arrivée ici j’ai une vie sociale réduite mais suis des cours en anglais, écoute la radio et mesure mon progrès à ma capacité à comprendre certaines paroles de chanson écoutées depuis des années sans jusque là en saisir le sens, ou à ma capacité échanger au téléphone avec la sécurité sociale, le fournisseur internet ou le service de réclamations de IKEA (il manquait une couette et de la vaisselle à la commande livrée vendredi dernier).

Mais ce qui m’a le plus procuré de satisfaction ces dernières semaines est la lecture de The Vanishing Half, avancé un peu chaque soir depuis mon arrivée et refermé cet après midi après une haletante lecture ininterrompue des 50 dernières pages. J’avais déjà lu quelques nouvelles ou romans en VO mais pour la première fois j’ai pris du plaisir linguistique dans les tournures et les trouvailles employées par Brit Bennett pour raconter l’histoire de Stella et Désirée Vignes, deux jumelles dont l’une réapparait dans son petit village de Louisiane plus de 15 ans après leur disparition.

Market Street Power Plant

Vous connaissez l’expression « il a eu son permis dans un paquet de Bonux » ?

Bon ben alors que je l’un de nous (moi) fait des pieds et des mains pour remplir tout un tas de démarches administratives -faites ici une pause pour vous remémorer Astérix cherchant le bureau des renseignements- parce qu’il a un visa de seconde zone et ne bénéficie pas des privilèges accordés aux profs européens, l’autre de nous deux (pas moi) a obtenu le sien sans être sûr de bien avoir compris pourquoi.

Au delà de son assiduité à fréquenter l’Office of Motor Vehicles, il semble que le paramètre ayant le plus pesé dans la balance était qu’il était 15h50 un vendredi et que l’agence fermait à 16h. $32,5 et une photo d’identité plus tard Baptiste était en possession de son permis, sans qu’on soit sûrs qu’il ait vraiment eu son code, et sans avoir passé d’épreuve pratique.

Le soulagement est total : ce sésame va nous permettre d’acheter la voiture qu’on nous fait expédier du Texas. On est donc allés fêter ça avec une pinte de bière d’une brasserie locale (« A Saison Named Desire« ) en terrasse du Bulldog, sur Magasine Street.

On est ensuite allés se balader à vélo à la tombée de la nuit et profiter de ce qu’on apprécie le plus ici (après la fraîcheur du soir) : la variété des quartiers et des ambiances qu’offre la ville. Au delà des images « classiques » de l’architecture locale (rangées de shotgun houses, villas néocoloniales ou néoclassiques) on traverse en se rendant en centre-ville le Warehouse District aux constructions en brique rappelant Londres ou New York, puis le Central Business District aux gratte-ciels un peu défraîchis. Enfin, on traverse Canal Street, bordée de néons et de palmiers pour rejoindre le French Quarter.

Et puis au hasard de nos zigzags dans des quartiers résidentiels quadrillés de routes à sens unique au revêtement aléatoire, on découvre aussi au bord du Mississippi de quoi rappeler Berlin ou Detroit :

Hold my beer

Walmart est sans doute l’enseigne de grande distribution la plus emblématique des USA. Mon ami G. me le résumait ainsi « C’est pratique, tu peux acheter un AK47 en même temps que ton pain de mie. ».

Walmart étant aussi manifestement le seul magasin de la ville vendant des lingettes décolor’stop (c’était ça ou une commande Amazon), cela justifiait d’y déplacer ce matin les 1,5 tonnes de notre Toyota RAV4 de location pour aller en chercher 2 boîtes. (Il pleut à verse, sinon j’y serai allé à vélo, évidemment).

Le rayon des armes à feu était en fait une vitrine de taille raisonnable, gardée par une vendeuse à l’air peu commode. Je ne me suis donc pas risqué à faire une photo et je n’y ai de toute façon pas vu de fusil d’assaut, il n’y avait que quelques armes de poing et de chasse. Déception.

Au détour des allées, caressant subitement l’idée d’acheter une paire de sièges de camping pliants (à garder dans le coffre de notre futur SUV) et une glacière de taille déraisonnable (le concept ici est d’aller à la station service la plus proche acheter 10kg de glace pilée pour 5$ et d’y noyer ce qu’on souhaite rafraîchir), je me suis rappelé ce que m’avait dit un ami avant de partir : « tu vas voir, tu vas résister un peu au début, mais c’est très tentant de se laisser aller et d’adopter le style de vie à l’américaine ».

Et puis à droite des caisses, juste à côté du rayon clearance, quelques employés s’affairaient à mettre en place un rayon thématique. Alors que je m’étonnais hier des décos de Halloween chez Home Depot, Walmart semblait me dire « Hold my beer » en proposant ceci :