Plusieurs personnes m’ont demandé quelle était ma perception de la diversité ethnique à la Nouvelle Orléans et je suis à chaque fois obligé de faire le triste constat suivant : à l’exception d’un hipster de mon groupe de pignon fixe du mercredi (qui se plaint d’être trop souvent « le noir de service » dès qu’il est dans un groupe de blancs), la plupart des personnes de couleur que je vois sont pauvres, de l’autre côté du comptoir devant lequel je me trouve ou en train de s’occuper des parties communes et de la piscine de notre résidence.
Je reconnais volontiers que je suis assez peu cultivé sur le sujet du racisme, tout en ayant une image assez progressiste de moi même. Bien sûr, si ce qui définit un raciste est d’être une personne se comportement intentionnellement mal envers un groupe donné, je ne le suis pas! Bien sûr que je connais l’histoire de la ville où j’ai grandi et qui a prospéré grâce à la traite des noirs, appelée pudiquement « commerce triangulaire », mais je n’ai évidemment pas plus de responsabilité individuelle dans ces événements datant d’il y a 500 ans que dans le « racisme institutionnel » actuel.
Je sais expliquer que 99,9% de mes interactions sociales pendant 35 ans ont été avec des blancs : la plupart des milieux dans lesquels j’ai évolué l’étaient. J’ai bien conscience qu’être blanc, s’appeler Pierre et être bien propre sur moi m’ont par le passé bénéficié (sauf pour entrer en boite de nuit, parce que j’ai longtemps eu l’air plus jeune que mon âge).
Alors je fais quoi avec tout ça ?
Pour le moment, je lis.
J’ai fini la semaine passée « How to be an antiracist » et ai déjà dévoré la moitié de « White fragility ». J’essaie de comprendre un peu mieux ces sujets, de situer mon rôle dans ces dynamiques. J’essaie de comprendre « Black Lives Matter », les combats pour les droits civiques et ce qui est spécifique aux USA. J’essaie de comprendre leur façon de penser, de militer, et d’imaginer ce qui peut se traduire ou pas dans notre contexte français, bien différent.
Je bute pour le moment à comprendre les dynamiques qui relèvent du groupe (c’est le propre de la sociologie d’attribuer des caractéristiques à des groupes bien déterminés) et ce qui relève de l’individu (un des auteurs mentionne qu’une personne n’est jamais « responsable » individuellement de l’image du groupe auquel elle appartient). Comment décrire des problèmes et comportements systémiques sans mettre les gens dans des cases ? Comment ne pas faire basculer la conversation au niveau de l’individu pour réfuter le moindre argument qui nous déplaît ?
Ce dont je me réjouis déjà dans ces lectures est de voir autant de ponts avec d’autres luttes et d’autres sujets. J’ai parfois l’impression que le communautarisme à l’américaine divise plus qu’il n’unit, mais je comprends peu à peu qu’il est aussi possible de faire le mouvement inverse et de chercher dans chaque « cause » ce qui nous rassemble. Qu’il s’agisse de n’importe quelle minorité, de sexisme, de capitalisme ou de lutte pour l’environnement, il existe entre ces groupes un nombre incroyable de porosités.
J’avais assisté à une conférence sur l’éco-féminisme, dans laquelle l’orateur (homme!) expliquait ce qu’apportait à la lutte pour l’environnement les approches féministes, dans la façon d’agir et de manifester. Un groupe de militantes lesbiennes pour l’environnement avait expliqué qu’elles avaient senti le besoin de se rassembler parce qu’elles n’étaient pas à l’aise au milieu de vieux syndicalistes mâles aux méthodes pas très fines.
Je rêve que ce genre de groupes n’existent plus parce que chacun reconnaîtra ses propres combats dans ceux du voisin. Je rêve surtout qu’on réfléchisse à ce « pour » quoi on lutte plutôt que de sans cesse se battre « contre », parce qu’il faudra bien qu’il nous reste des idéaux et une raison de vivre quand on aura renversé le capitalisme.
Je sais, je rêve les yeux grands ouverts. C’est sans doute l’effet du Martin Luther King Day.
tu n’as pas toujours eu l’air propre sur toi à l’entrée des boîtes de nuit me semble-t-il…