(Attention, pavé!)
J’ai longtemps eu une sorte de love-hate relationship avec l’anglais. Spoiler : l’amour gagne à la fin.
Quand je suis entrée en 6ème, j’ai eu l’impression que tous mes petits camarades avaient fait de l’anglais en primaire. Sauf moi. Lady Di est morte la même année, ce qui fut pour moi l’occasion d’entendre parler d’elle pour la première fois. C’est vous dire mon intérêt de l’époque pour la langue et la culture anglo-saxonne. Bien sûr, 10 ans plus tard cela avait bien changé quand je me suis découvert une passion pour les jeunes hommes anglophones, mais c’est prématuré dans ce récit et la pudeur m’oblige à passer sous silence ces épisodes américains, canadiens ou irlandais.
Je ne partais pourtant pas de zéro, mon oncle M. ayant tenté plusieurs fois d’instaurer une sorte de complicité lors de ses séjours en France en me demandant chaque matin Are you my buddy today ?, phrase qui n’avait alors aucun sens pour moi. Comprenant « body », je ne trouvais aucune traduction de mon dictionnaire réussissant à donner un sens à la phrase, et même après me l’être faite expliquer, je n’avais pas la moindre idée de pourquoi il me demandait chaque matin si j’étais ou pas son pote.
Un contrôle surprise par la sadique Mme C. en 5ème m’a obligé à faire signer à mon père une des pires copies de mon collège (4/20, exploit ensuite mainte fois reconduit en prépa) en lui faisant promettre de ne jamais en parler à ma mère. En 3ème rebelotte, Mme C. passera l’année à contrôler notre apprentissage des verbes irréguliers.
Mon établissement étant depuis 2 ans centre d’examens pour le bac, j’avais à chaque fois passé quelques semaines délicieusement désoeuvrées en Juin, décidant mes parents à m’envoyer l’année suivante passer un mois au Canada parfaire mon anglais à Toronto, chez ma tante et mon oncle. (Évidemment, cette année là mon collège-lycée n’était pas centre d’examen, et j’ai donc purement et simplement raté un mois de cours en 2nde).
De ce côté de l’Atlantique, mon oncle a été plus efficace m’a embarqué quotidiennement avec lui dans le collège dans lequel il enseignait et j’ai suivi quelques semaines de cours sur place. (J’ai aussi bu mon 1er café dans l’avion, et acheté mon 1er Têtu dans un kiosque profitant de l’anonymat rassurant de Roissy-Charles de Gaulle). A mon retour, répondant à mes parents me demandant si j’avais progressé, je me souviens avoir répondu : « Je ne sais pas si j’ai appris beaucoup, mais j’ai pratiqué l’anglais que je connaissais ». Je ne sais pas si la réponse les avait satisfaits, mais l’essentiel était là : j’étais passé à la pratique et capable de communiquer en anglais. Bingo.
J’ai ensuite survolé mon lycée, essentiellement grâce aux notes et aux contrôles de ma sœur ainée qui avait eu deux ans plus tôt et dans une section différente EXACTEMENT les mêmes cours et interrogations que moi deux ans plus tard.
Bac en poche, je me pointe la bouche en cœur en section européenne à l’INSA, pour découvrir que les étudiants étrangers constituant les 2/3 de la promo parlent leur langue maternelle, étudient en français et sont tous fluent en anglais. Les étudiants français quand à eux sont pour beaucoup issus d’écoles internationales et j’ai l’impression d’être de nouveau en 6ème, nul. (Christopher Reeve est mort cette année là, et je savais qui il était. Mon intérêt pour le genre masculin et les héros virils dans des tenues moulantes était alors en train d’éclore.)
Deux profs de l’INSA m’ont tour à tour donné deux clés m’ayant permis de progresser. La première, à qui quelqu’un de la classe avait fait remarquer que quand elle lisait « on dirait la voix off de desperate housewifes » (#2005) nous avait ensuite incités « à faire la voix off » si ça pouvait nous aider, et j’ai alors pour la première fois compris le concept d’intonation, alors qu’en français on parle de façon monotone en élevant simplement la voix si on veut poser une question. Le second nous avait décomplexé en nous expliquant la différence entre accent et prononciation. (On peut donc garder un bon gros accent français « so cute » ET se faire comprendre.)
Quelques conquêtes anglophones plus tard (« your accent is so cute »), quelques voyages aussi, beaucoup de temps passé sur internet ou à regarder des films et séries en VO, je claque en 3ème année un TOEIC à 975. Puisque je suis à l’aise en anglais, je me décide à partir 10 mois en Autriche parfaire mon Allemand. Erreur : mon niveau ne me permet pas de suivre efficacement mes cours et je n’ai pas dans cette langue le « facteur confiance » longuement et difficilement construit en anglais. A l’occasion de mon embauche chez Siemens, le patron m’asticote en entretien : « mais comment se fait-il que vous revendiquiez un meilleur niveau en anglais qu’en Allemand alors qu’il y a tout juste un an vous reveniez de 10 mois à Vienne ? ».
Je ne me l’explique pas mais me le promets : si je dois repartir un jour, ce sera dans un pays anglophone.
Le temps passant, j’ai fini par réaliser il y a quelques années avoir franchi le palier ne faisant plus de l’anglais une difficulté. Je ne comprends pas tout ce que je lis ou entend, mais je suis à l’aise et capable de m’exprimer avec suffisamment de subtilité pour plaisanter ou faire passer ma personnalité dans une conversation.
Je lis de plus en plus de doc technique en VO, je lis parfois le journal aussi, peu à peu j’écoute des podcasts, je me mets à faire quotidiennement les mini mots-fléchés gratuits du New York Times.
Depuis mon arrivée ici j’ai une vie sociale réduite mais suis des cours en anglais, écoute la radio et mesure mon progrès à ma capacité à comprendre certaines paroles de chanson écoutées depuis des années sans jusque là en saisir le sens, ou à ma capacité échanger au téléphone avec la sécurité sociale, le fournisseur internet ou le service de réclamations de IKEA (il manquait une couette et de la vaisselle à la commande livrée vendredi dernier).
Mais ce qui m’a le plus procuré de satisfaction ces dernières semaines est la lecture de The Vanishing Half, avancé un peu chaque soir depuis mon arrivée et refermé cet après midi après une haletante lecture ininterrompue des 50 dernières pages. J’avais déjà lu quelques nouvelles ou romans en VO mais pour la première fois j’ai pris du plaisir linguistique dans les tournures et les trouvailles employées par Brit Bennett pour raconter l’histoire de Stella et Désirée Vignes, deux jumelles dont l’une réapparait dans son petit village de Louisiane plus de 15 ans après leur disparition.
Prochain palier : ne plus être sûr si c’était en français ou en anglais!